Le Rhône en 100 questions : 5-14 Peut-on construire en zone inondable ?
Historiquement, les habitants ont toujours cherché à mettre hors d’eau les constructions en zone inondable ou à permettre le refuge à l’étage, même s’il est sans doute illusoire de proposer une image idéelle de la prise en compte du risque d’inondation par le passé.
Les nombreuses maisons détruites ou emportées par les eaux qui figurent dans la presse illustrée lors de la crue du Rhône de 1856 témoignent des limites de ces pratiques vernaculaires.
À Sablons, par exemple, les murs sont en maçonnerie jusqu’à la hauteur des plus hautes crues pour résister à l’eau et au-delà en pisé. Dans les archives, de nombreux récits témoignent des pratiques qui consistaient à monter le bétail à l’étage pour le sauver des eaux, comme l’écrit Armand Landrin en 1880 à propos de la crue de 1856 : « À Tarascon, la salle de spectacle où l’on avait abrité une partie des bestiaux a été envahie à une telle hauteur, qu’on a été obligé de placer aux premières et deuxièmes loges les porcs, les mulets et les brebis. Les barques chargées de fourrages arrivaient à rames déployées dans le parterre ».
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Comment luttait-on contre les inondations au xixe siècle ?
Après la crue généralisée du Rhône de 1856, Napoléon III annonce à Pourrières (83) la mise en place d’une politique de « défense du territoire contre l’invasion des eaux ». La protection par les digues trouve en effet ses limites : « Aujourd’hui, chacun demande une digue quitte à rejeter l’eau sur son voisin. Or, le système des digues n’est qu’un palliatif ruineux pour l’État […] car il faudrait toujours élever le niveau de ces digues, les prolonger sans interruption sur les deux rives et les soumettre à une surveillance de tous les instants. […]
Avant de chercher le remède à un mal, il faut en bien étudier la cause ». À l’époque, la cause des inondations est rapportée au déboisement des montagnes qui limite la rétention des eaux de ruissellement. Une vaste politique de restauration des terrains de montagne est donc lancée sur des milliers d’hectares à travers l’action des ingénieurs forestiers (dont George Fabre est une figure emblématique) à partir de 1860-1870 ainsi que l’aménagement de retenues en amont. Les premiers documents réglementaires en matière d’occupation des sols en zone inondable remontent au début du xxe siècle. Le Plan des zones inondables prévu par la loi du 28 mai 1858 et approuvé sur le Rhône en 1911 vise à contrôler la construction des digues ; le Plan des surfaces submersibles instauré par la loi du 30 octobre 1935 impose que les constructions nouvelles ne s’opposent pas au libre écoulement des eaux et ne restreignent pas les champs d’expansion de crue. La réglementation vise d’abord le bon fonctionnement hydraulique du fleuve, plus que la prévention du risque à proprement parler.
Comment s’est opérée la maîtrise de l’urbanisation en zone inondable au xxe siècle ?
En 1955 les articles R111.2 et R111.3 du code de l’urbanisme donnent la possibilité de refuser ou d’imposer des prescriptions « si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ». La Loi d’orientation foncière de 1967 permet de définir des zones ND non urbanisables pour cause de risque naturel. Mais la maîtrise de l’aménagement dans des zones exposées à un risque naturel n’est véritablement lancée qu’à partir de la loi de 1982 relative à « l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ». L’idée est de lier la prévention et l’indemnisation : le fond « catastrophe naturelle » financé par une surprime sur l’assurance incendie est constitué en échange de la mise en place de Plan d’expositions aux risques qui imposent aux collectivités des mesures de prévention et de protection.
Pour les particuliers, la meilleure indemnisation en cas de catastrophe naturelle doit s’accompagner de contraintes plus strictes sur la constructibilité dans les zones à risques. La loi Barnier de 1995 instaure les Plans de prévention des risques (PPR) qui établissent à l’échelle communale un zonage réglementaire relatif à l’urbanisation : pas de contrainte particulière en zone blanche en l’absence d’aléa, des prescriptions sur les constructions en zone bleue où l’aléa est modéré (en terme de hauteur et de vitesse des eaux) et enfin l’inconstructibilité en zone rouge où l’aléa est fort.
Quelle est la doctrine commune pour l’élaboration des PPRi du Rhône ?
La crue de 2003, qui a causé la mort de sept personnes et qui représente plus d’un milliard d’euros de dommages, témoigne de la vulnérabilité du couloir rhodanien.
Dans un contexte de fort développement urbain et périurbain, les règles de constructibilité ne résultent pas seulement de l’emprise de la crue de référence mais sont modulées selon le type d’urbanisation des espaces concernés :
- les zones non urbanisées doivent le rester alors que dans les espaces déjà urbanisés, des constructions peuvent être autorisées sous conditions (selon que le projet est exposé à un aléa fort ou modéré, qu’il est en centre urbain ou pas, qu’il intègre des modalités de construction adaptées au risque…) ;
- les espaces protégés par des digues restent des zones soumises au risque car on ne peut avoir de garantie absolue sur l’efficacité des ouvrages. En conséquence, les espaces non urbanisés derrière les digues doivent le rester. Dans les secteurs déjà urbanisés et dans le respect du principe de limitation de l’extension de l’urbanisation en zone inondable, des constructions peuvent être autorisées sous conditions, en dehors d’une bande de sécurité à l’arrière immédiat des digues.
La prévention des risques repose sur la maîtrise de l’urbanisation en zone inondable et doit s’accompagner d’une réflexion à une échelle intercommunale pour trouver des solutions alternatives.
Ce qu’il faut retenir
La crue catastrophique de 1856 marque le début d’une politique générale de lutte contre les inondations qui s’oriente au xxe siècle vers la prévention par la maîtrise de l’urbanisation en zone inondable.
Aujourd’hui, la doctrine Rhône donne les règles communes de constructibilité pour prendre en compte de manière cohérente et équitable le risque d’inondation dans l’aménagement des territoires.
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