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Des filets en mer

De Wikigeotech
Version du 12 février 2013 à 16:57 par Iméne Benyoucef (discuter | contributions)

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Cette page fait partie de l'ouvrage : La biodiversité à travers des exemples Services compris (CSPNB). 3ème Tome - 2012.


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Depuis les temps les plus reculés, les océans, les lacs et les cours d’eau ont été une source importante d'aliments, la pêche assurant une activité et des avantages économiques à l’humanité. Recouvrant 70 % de la planète, les ressources marines ont toujours semblé illimitées.

En témoignent les techniques actuelles qui permettent de prélever des bancs entiers de poissons – à titre de comparaison, il n’existe aucune machine terrestre permettant de capturer un troupeau entier d’animaux pour le transformer sur place. L'humanité commence donc à comprendre que les ressources aquatiques, certes renouvelables, ne sont pas infinies et doivent être gérées selon des critères scientifiques si l'on veut maintenir leur contribution au bien-être nutritionnel,économique et social de la population croissante de la planète.


Sommaire

Une pêche résiliente

La variabilité des populations de saumons assure l'économie de la pêche

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Une forte hétérogénéité spatio-temporelle entretient la diversité des populations de saumons et de leurs cycles vitaux. Cette diversité permet de réguler le stock de poissons au cours des années et bénéficie à la pêche pratiquée durablement en Alaska.

La diversification des populations de saumons du Pacifique augmente la résilience de l’ensemble du stock de la baie de Bristol en Alaska, au grand bénéfice des pêcheries installées dans cette baie, qui représente plus de 60 % des revenus de la pêche au saumon des États-Unis. Les saumons sont pêchés quand ils se présentent aux estuaires des neuf principaux cours d’eau de la baie. Or, en chacun de ces estuaires, remontent des dizaines, voire des centaines de populations distinctes, très précisément adaptées aux conditions de vie des ruisseaux et des lacs qui conduisent à leurs frayères natales. En exploitant cette diversité de populations, les pêcheurs sont moins exposés à la variabilité liée aux retours annuels d’une seule population. Ils y sont d’autant moins exposés que les dynamiques de ces populations ne sont pas synchrones :

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les saumons peuvent passer une ou deux années en eau douce avant de se développer dans l’océan, et séjourner dans ce dernier un à trois ans avant de remonter vers leurs frayères. Ainsi, la probabilité que tous les individus d’une même cohorte rencontrent des conditions défavorables au cours de leur cycle vital s’en trouve nettement réduite. Les gestionnaires du stock des saumons de la baie tablent sur un retour annuel de 10 millions d’individus sur l’ensemble des frayères pour en assurer son renouvellement. Ne doivent donc être capturés que les individus en surplus de ces 10 millions. Les pêcheries sont fermées les années où ces 10 millions risquent de ne pas être atteints. Avec la diversification des populations de la baie, la probabilité de fermeture des pêcheries n’est que de deux à trois années par siècle. Des chercheurs ont calculé qu’elle serait dix fois plus élevée si la population était unique. En somme, la diversification des populations de saumons peut être comparée à celle d’un portefeuille boursier dans lequel on varie les types de placements dans un souci de gestion du risque. Au-delà des pêcheries, les saumons alimentent aussi un ensemble de processus écologiques : ils remontent des nutriments de l’aval vers l’amont des bassins versants et servent de proies, notamment aux ours.

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Des pêches ciblées

Comment réconcilier exploitation et conservation de la biodiversité marine

L’enjeu de la pêche durable est à la fois de prendre en compte les choix de pêche des humains et de les modifier pour les rendre compatibles avec la pérennité des espèces de poissons. Économistes, pêcheurs et chercheurs développent des méthodes de meilleure gestion afin de maintenir les stocks de poissons sauvages.

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Sardines, thons rouges, tortues, oiseaux et mammifères marins…, leur devenir au cours du 21è siècle va dépendre de la mise en application d’une vision des temps modernes : celle de l’approche écosystémique des pêches. Une pêche durable et respectueuse des écosystèmes marins. Cette approche n’est pas le fait de quelques écologistes en mal de reconnaissance. Mais celle d’une volonté internationale sous l’égide des Nations unies qui s’est concrétisée avec la déclaration de Johannesburg en 2002 lors du sommet mondial sur le développement durable.

Quels en sont les principes ? Le premier, en utilisant des engins sélectifs, est de veiller à limiter les prises accidentelles d’espèces non ciblées dans les filets, comme les tortues marines, les requins et les mammifères marins, rejetées mortes dans les océans. Des engins, qui permettent aux animaux de s’échapper ou qui, à l’aide de trappes, minimisent les prises accessoires.

Le second principe est de limiter la pêche pour s’assurer que les poissons prédateurs, comme les mérous, les merlus et les morues, ou encore les oiseaux et mammifères marins puissent se nourrir de poissons fourrages tels que les anchois, les sardines ou les harengs.
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Cela nécessite de s’assurer d’une abondance minimale de ces poissons fourrages dans les écosystèmes mais aussi de leur disponibilité envers les prédateurs. De plus, il faut que les ressources en poissons soient suffisantes autour des colonies d’oiseaux en danger d’extinction en développant des réserves marines autour des lieux de nidification et en diminuant les prélèvements de pêche.

Ces deux principes sont le reflet de multiples idées pragmatiques dont les objectifs sont d’assurer un devenir aux ressources, à la biodiversité et aux pêcheurs. Mais si le monde de la pêche commence à être sensibilisé à cette approche écosystémique, il reste encore un long chemin à parcourir… Pourtant ce n’est qu’en la mettant en œuvre, et à ce prix seulement, que nous pourrons assurer un bon état de santé et une exploitation durable des océans.


Là vivaient en famille plusieurs groupes de lamantins…J’appris à Ned Land et à Conseil que la prévoyante nature avait assigné à ces mammifères un rôle important. Ce sont eux, en effet, qui comme les phoques doivent paître les prairies sous-marines et détruire ainsi les agglomérations d’herbes qui obstruent l’embouchure des fleuves tropicaux. « Et savez-vous, ajoutai-je, ce qui s’est produit, depuis que les hommes ont presque entièrement anéanti ces races inutiles ? C’est que les herbes putréfiées ont empoisonné l’air, et l’air empoisonné, c’est la fièvre jaune qui désole ces admirables contrées… » Et s’il faut en croire Toussenel, ce fléau n’est rien encore auprès de celui qui frappera nos descendants, lorsque les mers seront dépeuplées de baleines et de phoques. Alors encombrées de poulpes, de méduses, de calmars, elles deviendront de vastes foyers d’infection, puisque leurs flots ne posséderont plus « ces vastes estomacs, que Dieu avait chargés d’écumer la surface des mers. » Jules Verne, extrait de Vingt mille lieues sous les mers, 1871.


Des fermes aquatiques

Utiliser des chaînes alimentaire pour réduire les impacts de l'aquaculture

L’aquaculture intégrée est une sorte de technologie qui s’inspire du fonctionnement des écosystèmes. Elle se base sur la connaissance des flux de nutriments dans les chaînes alimentaires. Ce principe de « copier » la nature peut être généralisé à d’autres services de prélèvement.

Manger du poisson, c’est bon pour la santé. Mais manger du poisson peut également contribuer à l’effondrement mondial des stocks de poissons sauvages et à la dégradation de l’environnement. En effet, un poisson d'élevage est généralement alimenté à partir d'huiles et de farines issues des pêcheries sauvages. Par ailleurs, si les techniques aquacoles ne sont pas maîtrisées ou inappropriées, elles contribuent à l’enrichissement en matière organique des eaux et des sédiments environnants. Mais face à la demande croissante en produits de la mer et à l’augmentation de la population mondiale, quelles peuvent être les solutions pour maintenir une pêcherie durable ? L’une d’elles pourraient bien être, l’IMTA pour “integrated multitrophic aquaculture”. Éprouvée par quelques précurseurs, cette méthode d’aquaculture est en voie de développement croissante.

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Le principe est simple : copier la nature. Et en particulier la connaissance des flux de nutriments dans les chaînes alimentaires. Dans l’aquaculture intégrée, on élève différentes espèces complémentaires de façon simultanée pour optimiser les productions et réduire les impacts négatifs sur l’environnement : des coquillages, des algues avec des poissons ou des coquillages, des crevettes, des algues avec des poissons.

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Comment ça marche ? Les rejets azotés des poissons élevés fertilisent les algues : 35 à 100 % des excrétions peuvent être ainsi « récupérées ». Ces algues peuvent être ensuite utilisées pour nourrir les poissons ou selon leurs propriétés, être commercialisées pour la cosmétique ou l’alimentation. Quant au reste des rejets azotés, ils sont naturellement recyclés dans la production primaire du phytoplancton, qui est lui même, filtré pas des mollusques réputés tels que les coquilles Saint Jacques, pétoncles, huîtres ou moules. Sur la côte est du Canada, des expériences tentent d’introduire cette forme d’élevage en pleine mer. Saumons, kelp et moules sont ainsi associés dans la baie de Fundy. Les premiers résultats montrent que la croissance des algues géantes et des moules est moitié supérieure à celle des zones éloignées des fermes d’élevage. Mais ces fermes d’un genre nouveau ne doivent pas se créer au hasard : les courants, la température de l’eau, la profondeur et surtout le choix des espèces élevées qui doivent être complémentaires, sont cruciaux pour optimiser les productions et atteindre des objectifs environnementaux acceptables.
Autant de facteurs qui sont étudiés pour tenter d’introduire ce type d’aquaculture en mer Méditerranée et dans les marais atlantiques semi fermés. Une démarche qui pourrait d’ailleurs « s’exporter » à terre, pour les élevages d’eau douce.

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Un monde de perles

Des indicateurs de la qualité du milieu

Perles noires, d’or ou d’argent, montées en broches, colliers, et boucles pendantes, les perles véritables prennent leur origine au sein de la biodiversité aquatique. Moules ou huîtres perlières, ormeaux et strombes géants en sont les « fabricants ». Mais ces derniers nécessitent des eaux oxygénées d’une grande pureté. Ce qui font d’eux les meilleurs garants d’un environnement sain !


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Objets de tentations et de noblesse, les perles – de par leur rareté – ont toujours été considérées comme des trésors depuis des siècles. Mais c’est avec la découverte des Amériques et de leurs huîtres perlières, que les conquistadors ont insufflé la mode des bijoux de nacre dans les cours d‘Europe. Commence alors une course effrénée vers la découverte de la perle rare et de la plus précieuse. Louis XIV achète ainsi la perle dite de Hope considérée comme l’une des plus grosses au monde (1,5 cm de long). Cette course effrénée n’est pas sans dommages. Parce que seuls les mollusques atteints d’un accident de la vie, comme l’intrusion d’un parasite entre la paroi interne de la coquille et le corps de l’animal, enrobent petit à petit le corps étranger de nacre pour s’en protéger. A l’époque, la découverte d’une seule perle naturelle et sauvage nécessitait l’anéantissement de populations entières….
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Si les premières tentatives de cultures d’huîtres perlières sont réalisées par le naturaliste suédois Karl von Linné (1707-1778), ce sont les japonais, et en particulier, Kokichi Mikimoto, qui réussissent au début du 20è siècle à maîtriser la technique de culture d’huîtres pour la production de perles commercialisables.

Cette technique très délicate consiste à insérer manuellement un greffon dans le manteau d’une jeune huître perlière, dont l’espérance de vie diminue alors considérablement. La culture de perles s’est ensuite développée dans le monde entier. Aujourd’hui, les perles noires aux reflets verts, bleus ou roses, sont cultivées en Polynésie française et plus largement dans l’Océan Pacifique tropical. Les perles d’argent ou blanches proviennent d’Australie et les perles d’or des Philippines et de Malaisie. En eaux douces, la moule Margaritifera margaritifera en Europe, Lampsilis higginsii aux États-Unis et Hyriopsis cumingii en Chine sont les espèces les plus connues pour leur production perlière. Mais toutes pâtissent de la pollution des eaux. 75 % des moules perlières d’eau douce sont actuellement menacées d’extinction…. M. margaritifera, dont l’impératrice Joséphine tenta vainement l’acclimatation à Rueil Malmaison, nécessite des eaux vives fréquentées par de jeunes truites et saumons.

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Les larves de la moule doivent en effet, avant de se fixer dans le sable, vivre en parasite sur les branchies de ces poissons. Aux États-Unis, la moule zébrée, espèce invasive introduite, menace les populations des moules perlières d’eaux douces qui fournissent le précieux greffon pour de nombreux élevages d’huîtres perlières.

En milieu marin, les perliculteurs doivent faire face à la destruction des récifs coralliens par les êtres humains. Ce qui font d’eux d’ardents protecteurs des récifs. La clarté de l’eau et la qualité du plancton dans les lagons sont en effet vitaux pour leurs élevages. En Polynésie, elle constitue le second secteur d’activité après le tourisme et permet de générer près de 5 000 emplois dans les atolls.




Source :

  • Schindler et al. 2010. Population diversity and the portfolio effect in an exploited species. Nature, 465 : 609–612.
  • P. M. Cury et al. 2011. Global Seabird Response to Forage Fish Depletion—One-Third for the Birds. Science, 334 : 1703-1706.
  • Pour en savoir plus sur les systèmes intégrés en aquaculture marine : http://archimer.ifremer.fr/doc/00030/14171/11442.pdf
  • Soto D., J. Aguilar-Manjarrez & N. Hishmunda (eds). Building an ecosystem approach to aquaculture. FAO fisheries and Aquaculture Proceedings N°14. Troell et al. 2009. Ecological engineering in aquaculture – Potential for integratedmulti-

trophic aquaculture (IMTA) in marine offshore systems. Aquaculture, 297 : 1-9.

  • The pearl oyster - Par Paul C. Southgate, John Lucas Elsevier (ouvrage collectif).



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